mardi 27 décembre 2022

Olaf le berger

 Aujourd'hui, je vous présente un conte pour enfants, que j'ai écrit à l'occasion d'un atelier d'écriture, afin d'expliquer aux enfants les différents ressorts d'un conte :

 

Olaf le berger

 

Il était une fois, dans un royaume lointain, un jeune berger prénommé Olaf.
Un jour qu’il faisait paître ses moutons dans une grande prairie, la fille du roi vint se promener à cheval près du troupeau. Toufou, le brave chien du berger, fit ce que tout chien de berger aurait fait en telle occasion : il aboya pour signaler l’intruse. Mais ce faisant, il effraya le cheval de la princesse, qui partit au grand galop vers le royaume des trolls voisin.

Conscient de sa responsabilité dans la mésaventure de la jeune femme, Olaf décida de suivre les traces du cheval pour porter secours à la princesse. Il s’inquiéta un peu lorsqu’il comprit qu’il lui faudrait entrer sur le territoire des trolls, mais il savait qu’il devait le faire.

Il traversait une forêt sombre lorsqu’il entendit d’étranges lamentations. Un jeune troll était prisonnier d’une toile d’araignée gigantesque, et le monstre à huit pattes s’approchait de son repas, inexorablement.

Olaf trouvait le destin de ce pauvre troll horrible, et même à un troll, il ne souhaitait pas une telle fin. Prenant son courage, et surtout son bâton à deux mains, il frappa tant et si bien l’araignée que celle-ci battit en retraite. Olaf aida le troll à se dégager, et il se présenta :

— Merci pour ton aide, humain. Je suis Prax, fils Grux, chef des trolls. Accompagne-moi chez mon père, il te récompensera pour l’aide que tu m’as apportée.


Prax conduisit Olaf au cœur de la forêt sombre. Ils arrivèrent au pied de l’arbre le plus imposant que le jeune berger ait jamais vu. Entre les racines de cet arbre se trouvaient des portes qui donnaient sur les maisons des trolls. Quelle coutume étrange que de bâtir des maisons au cœur des racines d’un arbre !

Ils arrivèrent devant un troll, qui, bien qu’aussi laid que les autres trolls, n’en paraissait pas moins majestueux. Prax s’inclina devant son père :
 — Père, je te présente Olaf. Cet humain m’a sauvé la vie alors que j’étais promis à une mort horrible.
Le chef des trolls sembla surpris :
 — Pourquoi un misérable humain a-t-il pris le risque de s’aventurer sur mon territoire, et depuis quand les humains viennent-ils en aide aux trolls ?

Olaf raconta son histoire, et Grux décida de le récompenser :
 — Olaf, les trolls se sont toujours méfiés des humains, vous êtes des créatures trop bizarres, vous vous lavez souvent, vous construisez vos maisons en dehors des forêts, vous faites cuire votre nourriture… Nous ne pouvons pas vous comprendre. Néanmoins, j’ai toujours œuvré pour que nos peuples restent en paix. En remerciement pour ton courage, j’ai décidé de t’offrir une récompense inestimable.

Il lui tendit une vielle cuillère en bois, qui sentait fort la soupe aux choux…
Olaf était bien dubitatif, mais il accepta poliment le cadeau de Grux.
Avant qu’il ne quitte ses nouveaux amis, Prax expliqua à Olaf comment trouver le repaire de l’affreux Glork, un troll sans foi ni loi, qui avait très certainement capturé la princesse.

Après trois jours de marche dans l’inquiétante forêt, Olaf vit enfin l’arbre tordu sous lequel Glork avait construit son antre. Il y entra le plus discrètement possible, mais Glork le repéra immédiatement et l’attaqua avec une hache énorme. Olaf se défendit avec son bâton de berger, qui fut brisé en un instant par l’arme du troll. En désespoir de cause, Olaf saisit la vielle cuillère en bois que lui avait offerte Grux et la brandit devant Glork qui éclata de rire :
 — Tu comptes vraiment m’attaquer avec ce vieux déchet ?
Quel choix avait donc ce pauvre Olaf ?

Mais soudain, Glork renifla, une fois, deux fois, et soudain, il prit un air horrifié :
 — Non ! Pas ça ! Pas cette horrible puanteur de soupe aux choux ! Les humains sont trop affreusement cruels pour avoir inventé une chose pareille ! Vas-t'en ! Prends ce que tu veux, mais vas-t'en !

C’est ainsi qu’Olaf, simple berger, sauva la fille du roi et devint un héros connu dans tout le royaume.

mardi 20 décembre 2022

Un plat qui se mange froid

 Aujourd'hui, je vous présente une des deux nouvelles que j'ai écrites pour le concours Émile Moselly

 

Un plat qui se mange froid


Imaginez un peu ma surprise lorsque j’ai vu apparaître ma photo sur mon écran. Quelqu’un venait de mettre ma tête à prix pour deux cent mille euros, et c’est à moi qu’il proposait d’exécuter le contrat ! Oui, vous avez compris, je suis un tueur. Avant, je travaillais pour les services secrets français, mais lorsque je suis retourné à la vie civile, toutes mes économies étaient parties en fumée chez Madoff. Alors, comme il faut bien vivre et que je ne sais faire que ça, je me suis mis à mon compte. L’avantage, c’est que maintenant, je peux m’autoriser à refuser certaines commandes. Pour faire simple, je n’accepte des contrats que contre des ordures. Et bien que l’on puisse raisonnablement me classer dans cette catégorie, cette fois ci, j’ai refusé.

Perplexe, je suis allé boire un verre place Saint Evre, près de chez moi. J’aime ce coin, au cœur du vieux Nancy, avec le parvis de l’église, la statue de Renée II, ses terrasses et ses arbres, je lui trouve un air de place de village, et je m’y sens bien. Je me suis installé à une terrasse, près d’un jeune couple, j’ai commandé une bière de Champigneulles et j’ai grignoté quelques cacahuètes. J’essayais de réfléchir à ma situation, en maudissant pour une fois l’anonymat absolu que peut offrir le dark-web. Jusque-là, j’ai toujours trouvé ça idéal. Le commanditaire me sollicite et me paye, sans qu’aucun de nous puisse savoir qui est l’autre. Pratique, sécurisant. Mais aujourd’hui sacrément problématique.

Un homme peu engageant c’est installé à la terrasse voisine. Perdu dans mes pensées, je n’y ai pas vraiment prêté attention. Une idée m’est venue entre deux cacahuètes. C’était mon nom, celui de mon état civil, qui était noté avec ma photo sur le contrat, pas mon pseudonyme professionnel. Mais loin de m’éclairer, cela ne faisait que renforcer le mystère sur mon commanditaire. Dans la vie de tous les jours, je passe pour quelqu’un de respectable, plutôt discret, et je ne cause de tort à personne. Alors qui pouvait bien m’en vouloir à ce point et pourquoi ?

Une jeune femme, plutôt mignonne, genre secrétaire un peu guindée, est venue s’installer à la table devant moi. Elle avait les yeux rivés sur son téléphone et ne cessait de pianoter sur son écran. C’est à ce moment que j’ai enfin remarqué l’homme étrange. Il m’observait du coin de l’œil en se croyant discret. Un débutant ! Mais j’ai bien compris qu’il était là pour moi, et il s’en est fallu de peu pour que je me frappe le front en vociférant un « Quel con ! »
J’ai refusé le contrat, mais rien n’empêchait le commanditaire de contacter quelqu’un d’autre, et d’après ce que je pouvais constater, cet autre-là n’avait pas perdu son temps. Je me demandais encore comment me tirer de ce mauvais pas, lorsque j’ai vu l’enfer se déchaîner comme au ralenti.

L’homme s’est soudain levé, il a sorti une kalachnikov de sous son imperméable et hurlé un slogan terroriste en pointant son arme vers moi et la jeune femme immobile dont les yeux étaient toujours rivés sur son écran. Heureusement pour nous, il n’avait pas retiré la sécurité. Le temps qu’il comprenne son erreur, j’avais saisi la coupelle de cacahuètes et la lui ai lancée au visage comme un frisbee. Il est parvenu à dévier mon projectile avec le canon de son AK47, mais cela m’a donné le temps de me jeter sur lui avant qu’il ne puisse tirer.
Les clients se sont enfuis en hurlant pendant que je tentais de neutraliser le terroriste. Mon passé militaire me donnait l’avantage, et le bonhomme fut rapidement hors d’état. Un débutant, j’en étais maintenant certain.

Quand j’ai relevé la tête, la place était déserte. Il ne restait plus que mon tueur, moi et la jeune femme, prostrée et tremblante. Elle est parvenue à me demander entre deux hoquets :
– Pourquoi moi ?
Je ne comprenais pas sa question. Elle m’a répété :
– Il voulait me tirer dessus. Pourquoi ?
Je voulais la rassurer, lui dire que j’étais probablement la cible visée, mais une voiture a démarré en trombe du côté de la place Carrière. Je me suis plaqué au sol, entraînant la demoiselle avec moi. Une rafale a retenti et des balles ont sifflé juste au-dessus de nous pendant que la voiture poursuivait sa route vers la rue des Dames et que la jeune femme hurlait de terreur.

Lorsque le calme est enfin revenu, j’ai relevé la tête. Les vitrines du bar étaient brisées, des impacts de balles criblaient les murs. Je ne pouvais pas rester ici. Les policiers n’allaient certainement pas tarder, et je n’avais aucune envie de répondre à leurs questions. Je me suis assuré que le terroriste en avait bien pour son compte et je me suis dirigé vers la rue Monseigneur Trouillet pour rentrer chez moi. J’étais à peine à l’hôtel d’Haussonville que j’ai entendu courir derrière moi. Elle me suivait, terrorisée :
– Ne me laissez pas seule ! S’il vous plaît.
Je ne sais pas pourquoi, peut-être le cadre romantique du bâtiment de la renaissance ou son regard implorant et paniqué, toujours est-il que j’ai accepté qu’elle me suive.
Je l’ai emmenée jusqu’à mon appartement, dans un petit immeuble en face de l’hôtel des loups.

À peine entrés, elle m’a demandé si elle pouvait boire. Je lui ai proposé une bouteille d’eau, ce qui ne lui convenait manifestement pas :
– Vous auriez quelque chose de plus fort ?
Je lui ai montré mon bar, une petite étagère avec quelques bouteilles posées dessus.
Elle a pris la bouteille de vermouth et s’est servi un grand verre qu’elle a bu d’une traite. Elle s’en est servi un nouveau :
– C’était qui ces types ?
– Un tueur à gage certainement. Je pense que celui-ci se fait appeler Darkside. Il a l’habitude de faire passer ses contrats pour des attentats terroristes en faisant faire le sale boulot par des paumés du coin.
Elle me fixa d’une manière étrange :
– Pourquoi ?
– Avec la masse des victimes, difficile de comprendre qu’un seul type était visé. Immonde, mais efficace… En général. Il attendait probablement dans la voiture. Quand il a vu que son gars avait échoué, il a voulu finir le travail.
Je devais avoir l’air un peu trop détaché. J’ai vu la peur dans ses yeux :
– Vous le connaissez ?
– Non. Mais je connais ses méthodes.
Elle a reculé d’un pas :
– Mais vous êtes qui ?
J’ai répondu aussi proche de la vérité que possible :
– Un ancien militaire.
– Quel genre de militaire ?
– Je n’ai pas le droit de vous le dire.
Elle m’a fixé quelques secondes avant de vider son deuxième verre et de s’affaler dans mon fauteuil :
– Dans quelle galère je me suis fourrée ? Je n’aurais jamais dû pirater cet ordinateur…
Elle buvait maintenant directement à la bouteille.

J’ai allumé la télévision sur la chaîne info. La fusillade faisait les gros titres. Tous les experts s’interrogeaient sur les raisons de cette attaque. Il était fait mention de l’homme mystérieux qui avait neutralisé le premier assaillant, mais aucune description précise n’en était faite, ce qui n’était pas pour me déplaire. Cependant, j’ai réalisé que le pseudo terroriste ne manquerait pas de parler aux policiers. Connaissait-il mon nom ? Savait-il que le seul but de son attaque était de m’éliminer ?

Lorsque le présentateur a évoqué les déboires judiciaires de la nouvelle vedette de téléréalité, j’ai jeté un coup d’œil à mon hôte. Elle s’était endormie, lovée dans le fauteuil. J’ai récupéré la bouteille de vermouth vide qui pendait dangereusement dans le vide et lui ai glissé un plaid sur les épaules, avant d’allumer mon ordinateur.
J’ai passé l’essentiel de la nuit à tenter de suivre la trace du commanditaire, mais ce type était plus que prudent. Il était carrément paranoïaque. Il utilisait toutes les astuces que je connaissais pour brouiller sa trace dans les méandres de la toile sombre.
Le jour allait bientôt se lever lorsque ma belle inconnue s’est réveillée. Elle m’a fixé d’un regard vide puis elle a examiné la pièce avant de réaliser la situation :
— Vous avez du café ?
Je suis allé en préparer deux grands bols.
— Moi c’est Noreen et vous ?
— Pierre.
Lorsque je suis revenu dans le salon avec le plateau de café, je l’ai retrouvée penchée sur mon écran. Elle s’est tournée vers moi :
— Vous vous y prenez mal. Vous ne le retrouverez jamais comme ça.
Elle a pris un bol et en a bu une gorgée :
— Et c’est qui ce type que vous cherchez ?
Surpris par ses propos, je me suis demandé ce que je pouvais bien lui dire. J’ai finalement décidé de rester aussi près de la vérité que possible, mais sans entrer dans les détails.
— Je crois que c’est lui qui a embauché Darkside, pour me tuer.
Elle m’a regardé puis elle a observé mon appartement :
— Vous ! Mais pourquoi ?
— C’est ce que j’aimerais bien découvrir.
Elle m’a montré l’ordinateur :
— Je peux ?
Noreen était de plus en plus surprenante :
— Vous vous y connaissez ?
— Je suis diplômée du M.I.T. J’ai travaillé pour une startup en Californie… Mais j’ai été virée parce que j’ai refusé de coucher avec le patron.
Elle a pianoté sur le clavier à une vitesse impressionnante, sans jamais donner l’impression de réfléchir à ce qu’elle faisait. Et pourtant, après une dizaine de minutes, elle a consenti à m’expliquer :
— Ce type utilise tous les outils que propose le web profond pour ne pas pouvoir être tracé. Je ne sais pas où il a appris tout ça, mais il est efficace.
J’ai failli lui dire qu’elle ne m’apprenait rien de nouveau, mais ce qu’elle m’a appris ensuite était plus intéressant :
— Mais, on a une chance de remonter jusqu’à lui en faisant correspondre les entrées et les sorties sur les serveurs par lesquels transite le message.
Je ne sais pas quelle tête j’ai dû faire à ce moment-là, mais elle s’est mise à rire :
— Quand un serveur internet reçoit une requête, il lui faut un certain temps pour traiter l’information et renvoyer la réponse. J’utilise un petit code qui calcule précisément ce temps, ce qui me permet de trouver le message d’entrée correspondant, que je peux remonter jusqu’au serveur précédent.
Elle était décidément bien différente de la petite secrétaire guindée que j’avais imaginé.
— C’est toujours plus efficace que les méthodes de traçage d’adresse IP. Mais ce n’est pas fiable à cent pour cent et c’est assez long.
J’ai décidé de la laisser faire et d’aller me doucher.

Avec l’aide de Noreen, à la fin de la journée, nous avons réussi à retrouver trois tueurs qui avaient accepté le contrat sur ma tête. Il y avait Darkside, Opin'Elle, experte dans l'usage des armes blanches et Gun and Roses, dont je n'ai encore jamais entendu parler. Mais nous n’avions toujours pas d’information sur le donneur d’ordre.
Je lui ai pris les mains avec autant de douceur que possible :
— Nous ne pouvons pas rester ici. Darkside m’a déjà retrouvé, il n’en restera pas là, et les deux autres finiront bien par se manifester aussi. Je prends quelques affaires et nous partons.

Arrivés dans la rue, j'ai hésité à prendre ma voiture. Je me doutais qu'elle était un peu trop facile à pister. J'ai donc décidé de remonter vers le Cour Léopold pour prendre un taxi.
J'ai une planque à Liverdun, dans le vieux village. La maison ne paye pas de mine, mais c'est toujours plus sûr que mon appartement. J'ai fait entrer Noreen, et je lui ai proposé de prendre une douche. Pendant ce temps, j’ai poursuivi mes recherches. Le mystérieux commanditaire a lancé une sorte de compétition entre les tueurs. Deux-cent-mille euros pour accepter le contrat, dix millions pour celui ou celle qui le remplirait. Inutile de vous dire que la somme était très motivante et incitait mes collègues à se dépêcher de m'éliminer avant d'être coiffés au poteau par un plus rapide.

Noreen a poussé un petit cri étouffé qui m’a mis sur mes gardes. À qui avais-je à faire cette fois-ci ? J’ai pris mon beretta, un calibre 22, assez discret, et je me suis dirigé vers la salle de bain. Elle était sortie dans le petit couloir, avec une simple serviette enroulée autour d’elle. Mais elle n’était pas seule. Une femme se tenait derrière elle, la menaçant d’une lame d’une trentaine de centimètres sur la gorge. Elle m’interpella :
— Lâche ton arme ou je la tue !
Noreen était terrorisée.
— Si tu fais ça, tu es morte toi aussi.
Opin’Elle ne s’est pourtant pas démontée :
— C’est un 22mm que tu as là.
Elle lâcha un petit rire
— C’est mignon ! Mais cette fille me sert de bouclier, et tu ne m’atteindras jamais à travers elle avec ça !
Elle n’avait pas tort. Je suis un tueur, pas un garde du corps, et ce genre d’argument aurait normalement dû me laisser de marbre. Mais, je ne sais pas pourquoi, en voyant des larmes de panique couler sur les joues de Noreen, j’ai relevé mon arme et j’ai commencé à reculer :
— Elle n’a rien à voir avec tout ça. C’est moi que tu veux. Laisse là partir.
Opin’Elle poussait Noreen pour avancer vers moi, un rictus de victoire sur les lèvres :
— D’abord tu jettes ton arme !
Anticipant la suite, j’ai encore reculé vers le séjour tout en retirant le chargeur et en vidant la chambre du beretta. Le séjour m’avantageait en combat rapproché, contrairement à l’espace trop confiné du couloir, où Opin’Elle pouvait profiter de sa petite taille. J’ai jeté mon arme dans un coin. La tueuse a fait une prise d’étranglement sur Noreen qui s’est vite écroulée, inconsciente, puis elle s’est approchée de moi et s’est lancée à l’attaque. J’ai esquivé sa dague tout en empoignant son bras pour la faire rouler au sol. Sans la lâcher, je lui ai décoché un coup de pied dans l’estomac avant de lui faire une clé de bras pour lui faire lâcher son arme :
— Tu devrais mieux te renseigner sur tes cibles Opin’Elle.
Elle m’a jeté un regard surpris, pour toute réponse. Je l’ai attrapée sans ménagement pour la conduire dans la cuisine. Là, j’ai sorti une bobine de fil à rôti d’un tiroir, avant de la plaquer au sol et de la saucissonner pour l’empêcher de bouger.

Noreen m’a rejoint encore chancelante :
— C’est qui encore ? Et qu’est-ce que tu vas en faire ?
— C’est Opin’Elle, et j’ai quelques questions à lui poser.
La tueuse avait déjà récupéré :
— J’ai rien à te dire !
Je l’ai fixée, aussi froid et déterminé que possible :
— Ne t’inquiète pas pour ça…
J’ai ouvert un placard, et j’en ai sorti quelques ustensiles – casse-noisettes, couteaux, tire-bouchon, économe et rappe à légumes, que j’ai posés bien en évidence devant elle :
— Tu parleras quand même.

Heureusement je me suis montré assez convainquant et je n’ai pas eu à me servir de tout ça. Elle m’a dit tout ce qu’elle savait. Rien que je ne sache déjà, mais pendant ce temps, Noreen a enfin réussi à remonter jusqu’au commanditaire. Un type de Pont à Mousson.
J’ai décidé d’aller lui rendre visite sur le champ, mais Noreen a insisté pour venir avec moi, car elle ne voulait pas rester seule avec Opin’Elle, et elle refusait que je m’en débarrasse de manière définitive. Je l’ai donc emmenée avec moi, en lui faisant bien comprendre que je n’avais d’autre choix que de tuer celui qui voulait ma peau.

Arrivés à Pont à Mousson, j’ai vite trouvé la bonne maison, rue Saint Laurent, près des arcades de la place Duroc. Un hôtel particulier, de briques et de pierres de taille. Le type n’était pas dans le besoin, mais ça, je le savais déjà. J’ai pris Noreen par les épaules :
— Quoi qu’il arrive, tu restes dehors. Si je ne ressors pas d’ici vingt minutes, sauve-toi.

Entrer a été un jeu d’enfant. Le système de sécurité n’était pas mauvais en soit, mais trop simple pour quelqu’un comme moi. J’avançais en silence, mon glock 17 –plus puissant que le 22 mm du beretta– en main. J’entendais de la musique à l’étage, j’ai donc pris l’escalier.
Dans un grand salon, un homme, tout ce qu’il y a d’ordinaire me tournait le dos en se servant un verre de scotch.
— Mains en l’air !
Il sursauta et laissa tomber son verre. Il se retourna lentement :
— Pierre ? Je ne m’attendais pas à te voir…
— Vivant ? Pour ça, il faudrait éviter de me proposer le job.
Il a ouvert une bouche de six pieds, mais il n’a pas essayé de nier :
— Tu es lequel ?
— Fatal Stone. Et toi, tu es qui ? Et pourquoi as-tu passé des contrats contre moi ?
Ses épaules se sont affaissées :
— Décidément, tu m’auras pourri la vie jusqu’au bout.
Il s’est resservi un verre :
— Tu permets ?
Les mains tremblantes, il but une gorgée :
— Tu ne te souviens pas de moi ? C’est… irritant. Parce que moi, je me souviens parfaitement de toi ! Lunéville, collège Saint Pierre Fourier…
Il venait donc de mon passé. Mais comme je ne le remettais toujours pas, il s’est énervé :
— Allons, fais un effort ! Le gars que tu as balancé dans les poubelles devant toute la classe !

J’avais complètement oublié cette histoire-là. Ce type m’avait énervé, je ne sais plus pourquoi, mais à l’époque, il en fallait peu pour me pousser à bout. Je vivais dans une famille… difficile, dans une petite maison ouvrière, rue Jean Jaurès. Vu ce qui se passait chez moi, il n’y avait qu’au collège que je pouvais me défouler.
Mais ce type lui, avait ruminé ça depuis tout ce temps :
— Mais ça fait combien… Vingt, vingt-cinq ans ? Ne me dit pas que tu n’es pas passé à autre chose depuis ?
Il s’est emporté :
— Passer à autre chose ! Marie Blanchard ne m’a plus jamais adressé la parole depuis ce jour-là ! C’était l’amour de ma vie !
Marie Blanchard… La bombe incendiaire et insensible du collège… Et il me mettait son échec amoureux sur le dos !
— Elle ne s’est jamais intéressée aux gars comme nous ! Les gars de familles friquées oui, mais pas nous.
Il est devenu cramoisi :
— Je t’interdis de dire du mal d’elle ! J’engagerai d’autres types s’il le faut, mais tu me le paieras tu m’entends, tu me le paieras !
J’ai levé mon arme vers lui et il est devenu soudain blême :
— D’habitude, je ne tue que si on me paye pour ça, et encore, jamais des pauvres types comme toi. Mais tu ne me laisses pas le choix. Si je ne peux pas te raisonner, je vais devoir te faire taire.

Il a reculé, comme s’il pouvait mettre assez de distance entre lui et mes balles. À regret, j’ai commencé à presser lentement la détente. J’ai alors entendu un claquement sec. J’ai pensé avec surprise que ce n’était pas le bruit d’un 9 mm, juste avant de sentir la douleur fulgurante dans ma poitrine. Je me suis retourné. Noreen était là, avec mon propre beretta pointé vers moi. Je me suis écroulé. Elle a poussé mon arme du pied puis elle s’est délicatement penchée sur moi :
— Je suis Gun and Roses. J’ai pensé que tu avais le droit de savoir qui t'avait tué.
Elle m’a souri, comme si elle était navrée.
— Tu dois te demander pourquoi j’ai attendu tout ce temps pour faire le job. C’est simple, j’avais prévu de le faire quand je t’ai approché place Saint Evre, mais lorsque tu as neutralisé cet homme, j’ai compris que je manquais d’informations sur toi et que le contrat était plus dangereux pour moi que je ne l’avais imaginé. Au fait, je ne t’ai pas encore remercié de m’avoir sauvé la vie sur cette terrasse.
Elle a mimé un baiser avant de continuer :
— Ah, j’oubliais ! Quand tu m’as laissée utiliser ton ordinateur, j’en ai profité pour vider tes comptes au Panama. Tu ne m’en veux pas n’est-ce pas ? Tu n’en auras plus besoin.

Elle s’est relevée et s’est approchée du type.
Je me noyais dans mon sang, ma vue se brouillait, mais j’ai encore pu l’entendre dire :
— Je crois que vous me devez dix millions.

FIN

mardi 13 décembre 2022

La dernière cartouche

À côté de mes romans, j'ai aussi écrit divers textes, nouvelles, micro nouvelles et contes pour enfants.

Voici le premier de ces textes que je voulais vous présenter. Il s'agit d'une micro nouvelle écrite pour un concours dont le thème était "la liberté".
Je savais être à la marge du thème, mais c'est l'histoire que je voulais écrire.

Évidemment, je n'ai pas gagné ce concours, mais vous, vous avez gagné un peu de lecture.

  

 

La dernière cartouche

 

Je suis tombé dans ton piège sans comprendre, en accompagnant mes amis. Insidieusement, tu as resserré tes chaînes et j’ai appris à mes dépens que tu savais t’y prendre pour pousser les gens à te rester fidèles.

Mon père était aussi ton adepte. Je l'ai vu mourir sans réagir. Évidemment, les médecins ont parlé d’un infarctus. Mais je sais que c’est toi qui l’as tué, patiemment, en lui administrant ton poison jour après jour avec perfidie.

Depuis, j’ai tenté de lutter contre ton emprise. J’ai cru gagner quelques batailles, mais tu attendais patiemment l’inévitable erreur qui te permettrait de reprendre le dessus. Cependant, je sais désormais quelle sera ma fin si je devais abandonner, alors j’ai décidé de ne plus être ton esclave et c’est en homme libre que je t’affronte pour la dernière fois.
La bataille sera rude. Sournoisement, tu feras tout pour l’emporter encore, mais je jure que je vais t’oublier là, seule dans ton paquet, dernière cigarette de ma dernière cartouche.